NSA : le colosse aux pieds d’acier
Créée comme une agence purement technique d’interception de communications, pour ensuite devenir l’agence la plus puissante du monde, et enfin aujourd’hui être la plus impopulaire, la NSA (National Security Agency) s’est retrouvée en une de tous les journaux du monde en 2012 à l’occasion d’un scandale provoqué par Edward Snowden, ancien analyste de ses services. Cette semaine thématique est pour nous l’occasion de revenir sur son histoire et ce qui fait sa force.
Avant les révélations d’Edward Snowden en 2012, elle était probablement la plus puissante et parmi les plus secrètes de toutes les agences de renseignement au monde. La NSA a été créée à l’initiative de Harry Truman en 1952, mais l’un de ses ancêtres remonte à 1917. C’était une agence de déchiffrage, nommée Cipher Bureau and Military Intelligence Branch. Basée à Washington et créée dans le secret le plus total puisqu’elle dépendait directement de la Maison Blanche et ne rendait aucun compte au Congrès.
En 1949, les activités de cryptage et de décryptage sont transférées vers le ministère de la Défense, prennent le nom de Armed Forces Security Agency et sont indépendantes de la CIA comme du FBI. Ce sont ces mêmes activités qui sont attribuées à la NSA en 1952 par Truman, là encore dans le secret le plus total puisque la note de création est classée secret-défense. Son but officiel est d’intercepter, de collecter et de déchiffrer les transmissions étrangères d’origine électromagnétiques, « y compris par tous les moyens clandestins ».
Les révélations de James Bamford
Son existence est dévoilée à la fin des années 50 par deux analystes ayant fait défection (William Martin et Bernon Mitchell). Cependant, elle est restée inconnue du grand public jusqu’en 1982, lorsqu’elle est révélée par James Bamford, journaliste américain, dans son ouvrage The Puzzle Palace. Puis, en 2001, il expose de nouveaux pans de son fonctionnement dans un autre livre Body of Secrets où l’on apprend que, déjà à l’époque, la NSA emploie plus de personnel que CIA et FBI réunis.
Aujourd’hui, c’est l’intégralité, ou presque, du trafic de données dématérialisées qui tombe dans les filets de l’agence. Cette quantité inimaginable d’informations est stockée dans des centres de données avant d’être triée, analysée et reconnue. Si l’on se fie au budget prévisionnel de 2013, elle emploie 21 000 personnes, mais certains analystes pensent que ce chiffre est en deçà de la réalité.
Les attentats du 11 septembre constituent une rupture dans l’Histoire de la NSA. Avant, elle était sous le feu des critiques, à la fois de la presse et des membres du Congrès américain. Elle était sous-financée, elle ne communiquait que trop peu avec le reste de la communauté américaine du renseignement. Uniquement concentrée sur la technique, elle était devenue « plus apte à collecter des informations qu’à les analyser » selon Claude Delesse, auteur de NSA, Histoire de la plus secrète des agences de renseignement. Après 2001, elle replonge dans la recherche du secret maximal, et l’époque correspondant avec la croissance exponentielle des télécommunications, elle entre dans un âge d’or de l’interception des communications qui ne sera troublé qu’en 2012 par Edward Snowden.
C’est bien cet âge d’or qui va conférer à la NSA la puissance qui est la sienne à présent. Claude Delesse considère que « aujourd’hui, en 48h, l’humanité produirait davantage de données qu’elle n’en a généré entre la préhistoire et 2003 ». En interceptant la quasi-totalité de ces données, l’agence de renseignement technique dispose d’un panel d’informations sans précédent pour surveiller, étudier, et même prédire les comportements la population mondiale. Cette base de données, inégalée à travers le monde, confère à la NSA et donc aux États-Unis un avantage stratégique considérable pour exercer une hégémonie sur la planète. La domination du cyberespace au XXIe siècle vaut la domination des mers au XIXe siècle, selon un ancien directeur de la NSA cité par Claude Delesse.
Une efficacité limitée contre le terrorisme
En revanche, la méthode utilisée par l’agence de renseignement technique n’est pas forcément la plus efficace pour protéger sa population. La surveillance de masse est en effet très utile lorsqu’on souhaite être présent sur tous les fronts, mais elle l’est moins quand il s’agit de cibler une menace précise. Ainsi, nous avons vu plus haut que l’action de la NSA n’avait pas permis de prévenir les attentats du 11 septembre 2001, cela n’a pas poussé l’agence à une remise en question. Les mêmes causes produisant les mêmes résultats, les services américains ne sont pas parvenus à empêcher les attentats de Times Square en 2010 et de Boston en 2013.
D’ailleurs, dans le budget prévisionnel américain de 2013, le terrorisme n’arrive qu’en seconde position (17,2 milliards de dollars) dans la liste des missions prioritaires des agences de renseignement, la première étant les alertes d’ordre politique, économique, et social (20,1 milliards).
Sous couvert de lutte globale contre le terrorisme et de sécurité nationale, la NSA constitue un instrument de surveillance des activités politiques et économiques mondiales. La branche follow the money de la NSA, par exemple, est censée surveiller les transferts bancaires pour démanteler le financement du terrorisme. En réalité, elle en profite pour intercepter tout le trafic des entreprises étrangères. A une époque où la guerre économique devient pour beaucoup d’Etats un moyen privilégié d’atteindre ses adversaires/ennemis, on imagine aisément l’utilité de ce type de programme. L’espionnage économique, n’a rien de récent au sein de la NSA, Nicky Hager, journaliste d’investigation néo-zélandais rapporte des déclarations d’agents de renseignement de son pays faisant état d’un « déluge » de communications interceptées lors des négociations du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade). Bamford, lui, raconte qu’une équipe de la NSA fut envoyée à Genève afin d’espionner les cadres japonais de Toyota et de Nissan à l’occasion des négociations de droits de douanes appliqués à l’automobile en 1995.
Instrument de surveillance lacunaire quant à la protection de sa population, la NSA paraît en revanche particulièrement efficace pour garantir l’hégémonie américaine sur la scène internationale. Elle semble avoir un temps d’avance sur les autres agences étatiques et après le scandale Snowden qui, s’il a ouvert les yeux de beaucoup de citoyens dans le monde, n’a fait que vaciller l’agence, on se demande bien comment elle pourrait tomber.